Défrichements des Landes Bretagne

Extraits d’ouvrages historiques ou autres sur les landes, leur usage et leur défrichement en Bretagne (et même en Anjou et en Poitou).

Hubert Maheux

Dans le nord de la Loire-Atlantique comme dans tout l’Ouest de la France, des landes servant de pacages communs étaient associées aux terres de culture et la superficie des terres communes était parfois très étendue : à Jans, la frairie de Trénou possédait plus de 400 hectares de landes. Au XVIIIe siècle les vastes landes de la Haute-Bretagne méridionale avaient connu quelques tentatives de défrichement par afféagement, mais les expériences restèrent limitées, les riverains hostiles aux clôtures s’empressant de détruire les talus nouvellement construits. Au XIXe siècle, à partir de la Restauration, des investisseurs mieux organisés, issus du commerce nantais, souvent anciens propriétaires à Saint-Domingue, enclosent et mettent en culture des surfaces plus étendues afin de créer des métairies au milieu des landes, contre la volonté des anciens usagers qui firent tout pour s’y opposer. Ainsi en 1827 à Lusanger, les consorts de la frairie de la Rivière, soutenus par Gascher du Val, châtelain de la Galotière, firent un long procès à un certain Dupuy, négociant à Nantes, pour s’opposer à la création sur leur terres communes des métairies du Verger et de Sainte-Marie, qui furent à plusieurs reprises assiégées et endommagées par les habitants en colère. Quelques années plus tard, dans le canton voisin de Nozay, Charles Haetjens et Jules Rieffel, qui révolutionna l’agriculture en Bretagne au XIXe siècle, eurent les mêmes soucis pour le défrichement des landes du domaine de Grand-Jouan. Une vingtaine d’années plus tard, la loi de 1850 sur l’obligation du partage des communs mit fin à ces coutumes ancestrales qui faisaient obstacle aux progrès de l’agriculture.

Champs ouverts, habitudes communautaires et villages en alignements dans le nord de la Loire-Atlantique : des micro-sociétés fossilisées dans l’Ouest bocager

Hubert Maheux

https://doi.org/10.4000/insitu.2350

Goudé       Histoire de Châteaubriant (Baronnie, ville…)   1870

Les landes, qui occupaient, …, une si grande étendue de pays, n’étaient pas entièrement inutiles.

Elles étaient le bien commun ou la propriété du seigneur.

Dans tous les cas, elles étaient la richesse des pauvres gens qui y faisaient paître de nombreux troupeaux, des brebis d’une espèce particulière.

Ces moutons, presque noirs, d’une chétive apparence, étaient l’objet d’un commerce considérable.

Ils occupaient une partie de la Grande foire de Béré.

Une triple industrie en est née :     – Moulins à foulons      – Les serges       – Les peigneurs de laine.

Les marchands sergers formaient une classe riche et nombreuse (consommation prodigieuse de cette étoffe, presque uniquement employée parmi le peuple).

L’industrie de ceux qui travaillaient la laine était la plus considérable. Tout le monde peignait.

Crise terrible de 1560 à 1598 : La guerre civile avait ruiné les manufactures.

Dès le début du XVIIe siècle, les corporations se plaçaient sous la bannière du saint-patron. Les Sergers : Notre-Dame.

Les peigneurs de laine sous la protection de St Blaise.

Longtemps l’agriculture demeura stationnaire, longtemps d’immenses étendues de terres incultes couvrirent la surface du pays. Dans le Pays de Châteaubriant, l’afféagement de toutes les terres vaines et vagues a été décidé à la fin du XVIIIe sous l’impulsion du Prince de Condé. Tous les seigneurs du pays se mirent à défricher les vastes landes que la peste noire du XVIe siècle avait laissées après elle.

Marcel Buffé       « Une cité, dans l’histoire, Châteaubriant »     1984

Sur les landes sont présents des élevages de chèvres et de petits moutons noirs très sobres.

Développement des métiers de la laine. L’élevage des moutons et des chèvres amènera une autre industrie, la mégisserie, puis la tannerie.

Élevage de petits moutons noirs sur les vastes landes.

Au XVIIIe siècle, une partie de la contrée a été déboisée, mais des landes en grande quantité, où paissent des moutons noirs et des chèvres demeurent.

La plus grosse industrie à Châteaubriant est une triple industrie dérivée de l’élevage des moutons de bruyère.

Triple industrie : – Moulins à foulons      – Marchands sergers   – Peigneurs de laine (cardeurs)

Cette industrie est très florissante depuis le début du XVIIe siècle après les troubles de la Ligue.

A la veille de la Révolution, près de 90% de la population est appliquée à la culture et à l’élevage. Seulement ¼ des terres est cultivé. On n’utilise pas d’engrais, d’où l’utilité de la jachère. Les landes très nombreuses permettent l’élevage de chèvres et de moutons.

Croix          Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles

La répartition des landes est loin d’être uniforme en Bretagne. Celles des campagnes du Pays Nantais au nord de la Loire sont particulièrement étendues au XVIIe siècle.

Le fait que les défrichements massifs n’aient été opérés qu’au XIXe siècle, à une époque où la population n’était probablement pas plus nombreuse que dans les campagnes, au milieu du XVIIe siècle, confirmerait l’hypothèse d’un obstacle technique.

Il a fallu résoudre un énorme problème d’engrais et surtout d’amendements.

L’utilisation de la lande comme pacage est essentielle pour la vie quotidienne des familles paysannes.

La lande serait ainsi la réponse la mieux adaptée à l’impossibilité matérielle, technique de mettre en culture avec profit des terres trop acides.

La lande fait partie d’un système de culture, d’un assolement à rotation parfois extrêmement lente.

Mais lande ne signifie pas terre inutile : pacage, matériaux, litière (bruyères) représentent un apport non négligeable pour les familles paysannes.

Andouard 1889

En moins de 80 ans, plus de 140 000 ha de terres infertiles ont été mises en culture dans la Loire-Inférieure.

Les terres labourables s’étendaient sur 260 000 ha en 1803, 301 600 ha en 1840 et 400 272 ha en 1882.

L’accroissement des terres labourables a été rapide, surtout dans la dernière période.

En 1789, 132 000 ha de terres incultes de toute nature étaient présentes dans la Loire-Inférieure.

Cela représentait 1/5 du total du territoire.       C’était à peu près la situation d’ il y a 50 ans auparavant.

On observe un petit nombre de défricheurs dans les dernières années du XVIIIe siècle.

La raison en est dans l’état d’indivision où se trouvaient alors la plupart des landes (ambiguïté de la législation).

Pour donner une apparence de légalité aux prises de possession que l’on ne pouvait supprimer, le pouvoir autorisa les communes à louer à leur profit les terres vagues qui devinrent ainsi leur propriété.

Vers 1818, l’accroissement de la population et le prix élevé des grains excitèrent un nouveau mouvement vers les terres vagues et renouvelèrent les contestations à peine éteintes. Les difficultés ne prirent fin qu’en 1850, après la promulgation d’une loi de procédure qui régularisait complètement le partage des terres incultes.

En 1840, 28% seulement des terres incultes étaient livrés à la culture.

Le plus fort du travail a été accompli de 1850 à 1889. Les Landes, Pâtis, Bruyères et Marais constituaient 132 000 ha en 1803, 96 265 ha en 1852 et seulement 38 735 ha en 1882.

Andouard Région de Châteaubriant     Déclin ou essor.

De longues bandes de plateaux schisteux s’étirent d’Est en Ouest au nord de la Loire-Atlantique.

L’absence de drainage sur ces plateaux argileux et l’absence de chemins praticables sont sans doute les causes majeures de la mise en valeur récente de certaines terres au XIXe siècle.

Pour défricher les landes de Grandjouan, on importa des bœufs des Mauges et du Poitou.

Cela favorisa le développement des foires.

Sanfaçon   1967   Défrichement … Haut Poitou … Xe au XIIIe siècle

Pays de Brandes

Les ajoncs et les fougères, dans les sols les moins dénudés, et les genêts et les bruyères, dans les plus déshérités, étouffent les taillis laissés à l’abandon.

Au début du XIIe siècle on songeait partout à défricher. L’augmentation de la population provoqua une augmentation des surfaces cultivées. Dans les pays de brandes les défrichements furent plus tardifs que dans les régions boisées.

Les bourgs se trouvent surtout dans les régions de défrichement précoce. On n’en rencontre guère dans les pays de brandes.

Les causes des défrichements et de l’essor démographique au Poitou sont mal connues.

Les vrais défrichements ne semblent pas antérieurs au XIe siècle. Au XIIIe siècle le peuplement des campagnes était dense.

L’importance des défrichements réside dans le fait que la vie économique est alors fondée sur l’agriculture.

L’assèchement des marais et les défrichements se sont étalés du XIe au XIIIe siècles (au plus tard dans les pays de brandes).

Le Mené    Campagnes angevines  1982  (vers 1350 à vers 1530)

Dans une économie constamment menacée de déficit alimentaire, le souci premier de la paysannerie fût avant tout d’assurer sa subsistance, de ce fait l’élevage resta toujours subordonné aux productions céréalières.

Même les plus déshérités jouissaient, par droit ancestral, de l’usage des pâtures communales et pouvaient entretenir quelques têtes de bétail.   Aux moutons, on abandonnait les vastes landes, les brandes et les terres temporairement incultes, les sous-bois leur étaient interdits.

Rieffel        Statistiques du canton de Nozay   1865

Toutes les routes macadamisées du canton de Nozay datent de 1830. Auparavant seuls existaient des chemins de terre impraticables une grande partie de l’année. La grande route de Nantes à Rennes, qui traverse la ville de Nozay, ne faisait pas exception, elle n’a été mise en état de bonne viabilité que de 1832 à 1838.

Plus de 8000 ha de landes ont été défrichées et convertis en terres arables et prairies. (9837 ha en 1811, 1730 ha en 1864)

Disparition des mauvais bois : 900 ha. Terres labourables : 8528 ha en 1811, 16 003 ha en 1864.

Les céréales s’étendaient sur 11 610 ha en 1864 avec 5877 ha de froment d’hiver. Changement radical par rapport à 40 ans auparavant (Extension des cultures, disparition du seigle au profit du froment).

Les terres incultes défrichées et une meilleure agriculture ont donné plus d’aliments et plus d’aisance à la disposition des habitants. (Population du Canton en 1830 : 10 852, en 1861 : 15 312).

« La mémoire des landes de Bretagne »     par François de Beaulieu, historien naturaliste, ethnologue, écrivain

Paysage si caractéristique de la Bretagne, les landes sont composées de graminées, de bruyères, d’ajoncs et de plantes diverses. Elles ne se développent que sur des sols très pauvres (qu’appauvrissent les bruyères) que sous des climats venteux et pluvieux.

Deux types de landes se distinguent :

– celles façonnées par le vent, sur les falaises littorales et les dunes = les landes primaires, le vent empêchant les arbres de s’implanter

– les landes secondaires issues de la déforestation dues aux animaux et aux hommes. Elles se situent à l’intérieur des terres et sont diverses en fonction de l’emploi recherché.

La Bretagne était couverte de près d’1 million d’ha de landes vers 1800, soit le 1/3 de la surface régionale (66% de la surface autour de Morlaix) contre 20 à 30 000 environ en 2000.

Il y a 10 000 ans, la forêt (chêne, tilleul, frêne, noisetier) recouvrait la Bretagne. Puis la glaciation, le feu et les troupeaux d’herbivores ont modifié le paysage

Les landes secondaires se sont vraiment développées après les premiers défrichements initiés il y a près de 6000 ans et qui se sont accélérés il y a 3000 ans à la fin de l’âge de bronze, pour faire place à des cultures de céréales et au pâturage.

Les landes est ce « commun » où la communauté fait pâturer ses bêtes, vient chercher de la litière pour les animaux de la ferme, tandis qu’en parallèle les paysans cultivent individuellement les meilleures terres.

Les landes avaient deux fonctions principales :

– par ses mottes fournir du feu à combustion lente pour usage domestique ou pour la ferronnerie, –

– assurer l’alimentation et la litière pour les animaux.

Par écobuage ensuite, le paysan pouvait également faire pousser pendant 4 ans du seigle ou du blé noir sur les cendres des landes répandues sur des billons, les landes revenant sur ces parcelles tous les 20 ans environ.

Au fil des ans, le développement d’outils spécifiques pour le tranchage des mottes, de la récolte d’ajonc témoigne de cette activité agricole (faucilles, étrèpes, hache-lande)

Pendant près de 8 siècles, la société rurale bretonne vivait harmonieusement entre terres cultivées, prairies et landes jusque dans les années 1930.L’équilibre apporté par la culture des landes a donné une résilience à la société rurale bretonne qui, selon toute vraisemblance, lui a permis d’échapper aux famines frappant d’autres régions françaises : au pire en défrichant un bout de lande, du blé noir pouvait être semé ….

Les excédents de production en période « normale » étaient écoulés sur les marchés régionaux.

De son voyage en France en 1780, Arthur Young décrit la Bretagne comme arriérée et misérable. : il n’y voit que landes, landes et landes entre Nantes et Vannes.

Partie d’Angleterre, la révolution fourragère atteint la Bretagne. Elle est initiée principalement par des agronomes, qui créent des écoles et stations d’expérimentation en agriculture.

A partir de 1830, l’agronome alsacien Jules Rieffel, fondateur de l’école nationale d’agriculture de Grand-Jouan, fait défricher 400 ha sur Nozay et développe l’emploi de nouvelles techniques

De 1846 à 1873, les premiers ingénieurs agronomes du Finistère sont formés sur la ferme de Trévarez

En 1851, Théophile de Pompéry publie un premier ouvrage qui a la particularité d’être bilingue, Quelennou var labour pe gonnidègues an douar, ou le nouveau guide du cultivateur breton.

Il expérimente les assolements et amendements en systématisant l’introduction des plantes fourragères et le drainage des terres. Il soutient activement les projets de dragage du maërl .Il pense qu’une industrialisation de l’agriculture bretonne nécessite la maîtrise des assolements et des défrichements : les cultures fourragères sont le socle du développement de l’agriculture bretonne .

Par un lobbying efficace, l’Association Bretonne fait voter une loi obligeant aux partages des communs, qui reviennent dans certains cas aux paysans ayant la capacité financière d’acheter (situation inchangée en ce cas), soit à de riches propriétaires qui y installent des colons (L’élite commerciale nantaise dont le commerce négrier s’est épuisé se réoriente vers le développement agricole par exemple).

Cette nouvelle agriculture va dévorer au fil des ans ces landes façonnées et entretenues par l’homme, modifier en profondeur le paysage breton et bouleverser le mode de vie des ruraux.